Ghostemane

Qui est le fantôme à crinière d’argent ?

S’il est bien une évidence concernant Ghostemane, un fait sur lequel tout le monde s’accorde, c’est qu’il est inclassable. Tantôt rap dirty south, tantôt rap emo, tantôt ghotic indus, tantôt ghotic métal… tous les qualitatifs lui vont et aucun ne convient entièrement. Par bien des aspects, à ses débuts notamment, on peu le rattacher à Bones ou aux $uicideboy$, en matière d’imagerie (occultisme, dépression, mort, …) ou en matière d’influences (en schématisant le punk hardcore/métal d’un côté et la Three Six mafia de l’autre). Avec le recul, au vu de son parcours lors de la sortie récente de son 23ème projets (Albums et Ep confondus) il est évident que le jeune Ghostemane est bien plus que ça et que si ses références initiales semblent claires, rapidement il va s’en détacher et affirmer sa singularité en créant son propre chemin fait de rap et de métal, chemin difficile, mal balisé, sur lequel parfois les auditeurs étourdis par ces nombreux virages se perdent. La sortie de ANTI-ICON est donc l’occasion de faire un flash-back sur le trajet de ce véritable OVNI du rap game afin de mieux le connaître mais surtout de mieux appréhender le chemin parcouru et qui il est vraiment.


Eric Whitney, de son vrai nom, nait en 1991 à Lake Worth en Floride, de parents new-yorkais. Il grandit à West Palm Beach dans un environnement, loin de l’imagerie des séries télé, fait de retraités riches, d’immigrés hispaniques venus vivre leur rêve américain et de junkies usés en voie de rédemption venus là pour tenter de prendre un nouveau départ.
Son père qui est partiellement handicapé est très présent à la maison et lui délivre une éducation assez stricte, loin des médias naissants et des diverses tentations. Il a une grande influence sur le trajet du jeune Eric, par ses principes éducatifs bien sûr mais aussi en l’initiant très tôt au hard-rock au travers de groupe dont il est fan, comme Black Sabbath ou Van Halen. A l’adolescence alors qu’il est au lycée, il s’achète une guitare électrique et apprend à en jouer seul à la maison, avec des partitions qu’il se procure à l’école. Lorsqu’il a 17 ans son père décède brutalement sous le double effet d’une pneumonie et d’une erreur de posologie dans le dosage de la morphine qui lui était prescrite en raison de son handicap et des douleurs inhérentes.
Après le décès de son père, sa mère décide de repartir vivre à New-York. Lui reste en Floride. Il entre à l’université et en sortira diplômé en astrophysique. Tout de suite derrière son diplôme il est embauché par une entreprise du secteur et commence une carrière professionnelle plutôt rémunératrice dans le sud de la Floride. L’avenir semble donc toute tracée pour l’ainé des fils Whitney.

Mais la mort de son père et le déménagement de sa mère ont été les détonateurs d’une révolution chez le jeune Eric, qui dès lors entame en parallèle de ses études et de son parcours professionnel une mutation qui donnera naissance à Ghostemane. Il se laisse pousser les cheveux (la fameuse crinière de fantôme), se fait faire ses premiers tatouages et consacre plus de temps et d’énergie à la musique. Il participe à plusieurs groupes orientés métal (au sens large du terme) tels que Nemesis en tant que guitariste ou Seven Serpents en tant que batteur. C’est grâce au chanteur de Nemesis qu’il va découvrir le rap, Three Six Mafia notamment, et plus particulièrement la scène de Memphis de l’époque avec des artiste comme Al Kapone ou Lord Infamous. Ayant déjà écrit quelques textes, plutôt orientés boom-bap, il plonge dans le bail, se prend au jeu du double time flow et commence à poser ses premiers morceaux. C’est à ce moment qu’est né Ghostemane (pseudo de « Fantôme » choisi en raison de sa vie en solitaire, loin du battage, de la foule, des clubs, …). Sous l’influence de sa petite amie il commence à s’enregistrer sur les réseaux sociaux et poste ses premiers sons sur Soundcloud. Fort de ses expériences passées dans le rock, il sait qu’il ne faut rien attendre des labels et décide de tout maitriser lui-même, de la prod au mastering, en passant par les visuels, le merchandising ou les clips (avec le concours de sa petite amie derrière la caméra).

Dès ses débuts il impose ses propres codes, notamment visuels, fait d’émo, de ghotique et d’imagerie black métal. Tout est en adéquation (les prods, les textes, les visuels, les décors, les clips), tout se complète, se répond, c’est dès le départ pensé comme une œuvre intégrale, et ça fait, je crois, intimement partie des raisons de son émergence. Au niveau du son il se démarque immédiatement par un flow flex qui sait passer de l’hyper rapide au haché en une fraction de seconde, une voix très élastique avec plusieurs tonalités et des prods percutantes toujours teintées de métal. Il affirme également sa singularité par des textes très construits autour de l’occultisme, l’alchimie, la mort, le suicide, la dépression, des thèmes « coutumiers » de la trap mais avec une approche très précise, fouillée, documentée, qui donne une vraie épaisseur à son propos, le rende particulièrement efficace et crédible et pousse vraiment l’auditeur à la réflexion, au questionnement. Autre fait marquant par lequel il se singularise, Ghostemane est un des rares acteurs de la scène rap du sud des Etats-Unis à être resté éloigné des opioïdes, du fait sans doute des circonstance du décès de son père. Il avoue par contre vivre régulièrement des expériences psychédéliques au travers de la consommation de champignons.
Après ses débuts en Floride Ghostemane peine à trouver de la reconnaissance sur la scène locale, son style ayant du mal à trouver son public. Grâce aux réseaux sociaux, il sait qu’il possède une fan base, mais que celle-ci est à l’autre bout du pays, sur la côte ouest, en Californie. En 2015 il décide donc, pour donner un coup de booster à sa carrière de musicien, de quitter son emploi et de déménager à Los Angeles.
Dans un premier temps il va rejoindre la Schema Posse, dans laquelle il côtoiera Lil Peep. Mais très rapidement il quitte le crew, qui va d’ailleurs exploser en vol juste après. A la même époque il rencontre les $uicideboy$, travaille régulièrement avec Nedarb Nagrom et rencontre Pouya. C’est Pouya qui va lui offrir un peu de visibilité en faisant un single avec lui (1000 Rounds) qui est aujourd’hui à plus de 35 millions de vues. Les 2 artistes collaboreront d’ailleurs sur 1 autre single par la suite.

Un des faits marquants caractérisant Ghostemane c’est que si il a une vie sociale très calme et qu’il se montre volontiers réservé, il se transcende et se transforme en bête de show, dans des concerts millimétrés, dès qu’il monte sur scène. C’est principalement par ce biais qu’il va développer sa fan base et assoir sa notoriété, tout en enchainant les projets. Cette stratégie se révèle payante car aujourd’hui le jeune artiste donne ses concerts bien au-delà de la Californie, un peu partout dans l’hémisphère nord et perce notamment en Europe (au sens large). Certaines de ses dates prévues cette années ont dues être reportées du fait de la pandémie de COVID, mais il reste programmé dès le début 2021 en Estonie, Lettonie, France (13 janvier à La Cigale), Suisse, Belgique, Luxembourg, Hollande… Il figure même à l’affiche du Hellfest 2021 (au côté de Volbeat et Offspring).
Revenons aux productions. Nous sommes en 2017 et le rap game fonde de grands espoirs sur le jeune rookie. Déjà remarqué par son 1000 Pounds avec Pouya, il récidive avec 2000 Rounds (remix du 1000 Pounds) qui ne manque pas de convaincre la frange rap de son auditoire. Mais les projets s’enchainent et une partie du public se perd… Tantôt trop rap pour les uns, tantôt trop métal pour les autres, une partie des premiers fans se perdent dans ce labyrinthe, chacun semblant attendre que le jeune artiste tranche une fois pour toute entre le rap et le métal. Il est vrai que Ghostemane semble chercher la jauge entre les différentes composantes de son style. Pris indépendamment les projets sont bons mais remis dans un cheminement il dessine un chemin tortueux fait de virages en épingles. En 2018 un nouveau feat avec Pouya (Stick Out) semble faire pencher la balance du côté du rap.


Mais quelques semaines plus tard sort D®Ead qui sème à nouveau la confusion, tout en dessinant une nouvelle voie. Cette nouvelle direction semble s’affiner avec le remarquable N/O/I/S/E fin 2018.

Le jeune fantôme délivre un album de très bonne qualité, mêlant avec bonheur le Rap, l’Indus, le Ghotic, et le Black Metal. Quelques mois plus tard sort FEAR NETWORK, un court Ep qui ne ravira que les amateurs de Black Metal et les fans ultimes de Ghostemane (ça tombe bien je coche les 2 cases). Pour beaucoup dans le camp du rap, c’est le disque de trop. Certains jurent qu’on ne les y reprendra plus, et cracheraient presque par terre quand ils entendent le nom de Ghostemane. Un mois plus tard sort OPIUM, court Ep de 3 titres, comme une réponse à ses détracteurs l’accusant de virer Black Metal. Un projet acoustique, avec un fort accent grunge, où semble avoir été convoqué le fantôme d’un Cobain black et d’équerre sous acide.


Une vraie réussite et une sorte de main tendue vers les fans de la première heure. En juin 2019 suivra HUMAN ERROR un 3 titres en collaboration avec Parv0, qui vient remettre la balle au centre, en se replaçant dans un registre à même de ravir n’importe quel fan des $uicideboy$.
Les projets passent, la confusion reste et le fantastique N/O/I/S/E ressemble de plus en plus à ce qui pourrait s’apparenter à un heureux accident industriel. Heureusement 16 mois plus tard (le 21 octobre 2020) Ghostemane sort le très réussi ANTI-ICON qui sonne comme une confirmation de tout ce que laissait entrevoir NOISE.

Dans ce disque le jeune musicien semble affirmer, confirmer, qu’il a choisit de ne pas se plier aux injonctions de trancher entre les camps et de dire enfin qui il est. Ni un rappeur, Ni un métaleux, Ni un ghotique, Ni un indus, mais bien tout ça à la fois, sans distinction, aucune.
C’est cette singularité, cette fusion parfaitement maitrisée que ANTI-ICON affirme, c’est par cette singularité que Ghostemane ouvre une nouvelle voie pavée de Mayem, Three Six Mafia, $uicideboy$, Marilyn Manson, 9 Inch Nails et Ministry sur laquelle de plus en plus de jeunes crews ou artistes tentent de se hisser. En se retournant on voit les lacets du chemin de construction et on comprend enfin le pourquoi de cette voie.
Pour ma part le choix de ne pas choisir me va tout à fait et, j’ai plus que jamais envie de le suivre sur cette voie!

Publié par R$kp

Daron de l'indé j'ai participé dès le mileu des 80 à l'aventure New Rose. Venant du punk, du hard-core, du metal, du post-punk et de la EBM, j'essaie modestement d'apporter ma pierre au rap game en proposant quelques prods à des oreilles ouvertes aux sons différents. Régulièrement je tape des collabs avec des artistes plus ou moins connus de la scène rap underground... Accessoirement j'aime écrire ce que je ressent à l'écoute de projets nouveaux, ou sur des sujets plus lourds. Ceux qui me suivent sur les réseaux sociaux le savent : - Si j'aime j'en parle. - Si je n'aime pas , je ne dis rien (la création artistique est suffisamment compliqué sans en ajouter...). - Ce n'est pas parce-que je n'en parle pas que je n'ai pas aimé (ça demande du temps et du recul... pas toujours évident). - Je crois ardemment en la bienveillance. Mon crédo de producteur: "Le métal en fusion se diffuse dans tes veines, départ pour un lent voyage sur le dos du dragon, ta barque frêle sur une rivière de Lean, aux frontières ténues entre le trip, la folie, le white-light, en lisière de la mort... Vous l'aurez compris mon univers est dans l'underground, les projets sombres, barrés, froids, putrides... ce qui n'exclue pas qu'à l'occasion je puisse me pluger et m'enjailler sur des projets beaucoup plus mainstream... question d'humeur, de météo, de rencontres... C'est la passion qui me guide. Rex Spiritus Killing Poorness

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